Chronique : Autobiographie du Jazz

Jacques REDA : Autobiographie du Jazz.
Editions Climats.

Jacques REDA : Autobiographie du Jazz

 

Lorsque mon petit-fils, apercevant ce livre sur ma table de travail, me demanda : Pourquoi Autobiographie du Jazz ? Je vous avoue que je fus quelque peu décontenancé, car n’ayant cet ouvrage en ma possession que depuis peu, je n’avais pas encore eu le loisir de me plonger dedans. Oui, au fait pourquoi Autobiographie, pensais-je in petto. Ne me démontant pas, j’ouvris l’objet de nos réflexions et entamais l’avant-propos. Bien m’en pris, et cela devrait inciter les lecteurs à ne pas négliger ces quelques pages qui trop souvent sont dédaignées. La révélation me sauta aux yeux, comme un solo de Coleman Hawkins dans mes oreilles, me permettant de répondre à l’interrogation de mon petit-fils qui attendait avec une impatience, justifiée, mon explication :

« On se demandera pourquoi le jazz m’a fait l’unique dépositaire du document qui forme la première partie de ce livre et en justifie le titre a priori déconcertant ».

Bingo ! Tout était résumé dans cette simple phrase. Jouez hautbois, résonnez musette ! Ou plutôt jouez Armstrong, résonnez Ellington ! J’avais les prémices d’éléments de réponses destinés à assouvir la curiosité de mon petit-fils. Continuant la lecture de cette autobiographie du jazz, j’entrais de plain-pied dans cette fameuse première partie : « Vous vous demandez probablement où et quand je suis né, mais je n’en sais rien moi-même ». Dépositaire et scripteur, tel est Jacques Réda qui narre avec verve et brio la courte existence du jazz (courte car elle n’a même pas un siècle et demi d’existence officielle), cette musique issue d’ailleurs et qui s’est imposée partout. Qui a grandi, mûri, évolué, pris de nombreux virages, s’est enrichie au contact d’autres formes musicales, toujours présente même si parfois l’on ne s’en rend pas compte, effectuant parfois des retours sur son passé avec un peu de nostalgie pour mieux rebondir vers de nouvelles directions. Avec les explications éclairées de Jacques Réda, le néophyte comprend aisément ce qu’est le jazz, son origine nébuleuse, ses racines, ses transformations, sa vivacité toujours prégnante.

Suivent à cette autobiographie qui relève plus du conte que d’une étude historique, cinq liminaires (priez pour nous, car n’oublions pas qu’à l’origine était le Verbe, Chanter, diffusé par les Negros Spirituals et le Gospel) : Le blues, Le swing, Improviser, Commenter et enfin Enregistrer et publier.

Puis l’auteur s’appuie pour consolider sa démonstration sur deux piliers : Louis Armstrong, le débonnaire, et Duke Ellington, le dandy. Deux piliers que j’aurais tendance à transformer en murs de soutènement de cet immense édifice qu’est le jazz dans toutes ses composantes et les acteurs qui ont participé à sa construction, sa pérennité et sa solidité.

Puis compléments majeurs indispensables déclinés en deux forts albums, ces maîtres et petits maîtres qui en fourmis laborieuses, talentueuses, exigeantes, différentes, divergentes dans leurs conceptions et leurs chemins, ont tracé leurs sillons avec grâce ou obnubilés par leurs recherches jusqu’à en être drogués.

L’auteur s’est attaché à les présenter dans un ordre presque chronologique, le premier album étant dédié aux musiciens d’avant 1940, le second ceux qui bouleversèrent quelque peu la planète jazz après 1940. Evidemment certains de ces instrumentistes sont connus de grand public, même si celui-ci n’est pas un jazzophile convaincu. Mais la grande majorité ne possède qu’une aura limitée car comme pour tout genre musical, souvent les auditeurs et les médias ne vivent que dans le temps présent.

Par exemple qui se souvient de Charlie Shavers, trompettiste qui aurait presque pu avoir comme frère jumeau, musicalement parlant, Dizzy Gillespie mais dont les chemins étaient profondément séparés, chacun choisissant sa voie, classique pour l’un, révolutionnaire pour l’autre. Les révolutions ne durent qu’un temps, et au fur et à mesure que les années passent, ce qui était agitateur de notes devient classique, détrôné par de nouvelles mouvances.

L’ouvrage de Jacques Réda n’est pas un dictionnaire, du moins en tant que tel, même s’il propose une déclinaison de près de 150 artistes, qui tous ont apporté leur fougue, leur conscience, leur innovation, leur talent, leur sonorité. Près de 150 fiches dans lesquelles d’autres figures apparaissent au détour des formations qui les employaient, solistes renommés qui se cachaient derrière les pupitres des maîtres. Quelques-uns d’entre eux voulurent aller voir ailleurs si le son était aussi bon, mais revinrent très vite au bercail, tels Johnny Hodges chez Duke Ellington. Moins didactique qu’un dictionnaire, moins sérieux ou pontifiant qu’un ouvrage d’universitaire, cet ouvrage possède la grâce, la légèreté, la verve du passionné, et l’écriture de Jacques Réda peut se comparer à la fougue et l’enjouement de Louis Armstrong alliés à la virtuosité rigoureuse de Duke Ellington.

 

Paul Maugendre  

 

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