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Odile BOUHIER : Le sang des bistanclaques.

Collection Terre de France ; Presses de la Cité.

Odile BOUHIER : Le sang des bistanclaques. Collection Terre de France ; Presses de la Cité.

 

Le titre à lui seul est énigmatique. La solution nous est révélée dans le prologue. Il s’agit du surnom donné par les canuts à une machine à tisser au XIXème siècle, à cause des sons, bis – tan – clac, émis par la machine lors des trois étapes consistant à former la trame du tissu. Et c’est dans un atelier de la Croix-Rousse, en cette année 1920 à Lyon, qu’une vieille ouvrière, qui préfère travailler de nuit ou de bon matin étant quasi aveugle, est retrouvée assassinée, violentée, ayant subi une agression anale, emberlificotée dans son métier à tisser. Si l’identité de la victime est rapidement établie, ce n’est pas le cas pour le cadavre défiguré, putréfié, retrouvé enfermé dans un sac de jute, dans un ruisseau au lieu dit le Pré aux moines. Pourtant quelques similitudes existent entre ces deux meurtres et elles sont relevées par le professeur Hugo Salacan et ses adjoints, du laboratoire de recherches scientifiques, division policière nouvellement créée sous l’impulsion du Professeur Edmond Locard et dirigée par le commissaire Victor Kolvair. Par exemple les victimes sont septuagénaires et un fil a été passé dans leur larynx à l’aide d’une force, un outil utilisé par les canuts. Même si ce n’est pas encore la guerre des polices, la Brigade du Tigre lyonnaise est chargée de l’enquête en la personne de l’inspecteur Legone, un personnage plutôt antipathique qui raisonne à l’ancienne, tandis que la police scientifique, comme son nom l’indique, prélève des indices afin de démasquer le coupable. Un troisième meurtre est annoncé, la femme d’un tisseur, mais s’il existe des ressemblances entre tous ces assassinats, il semble bien qu’il ne s’agit dans le dernier cas que d’un duplicata grossier perpétré selon la méthode dévoilée par le journal Le Progrès. Bianca, une aliéniste, est chargée d’étudier le comportement de supposés coupables, et de ceux qui se dénoncent alors que preuve est faite qu’ils ne pouvaient être à l’origine de ces meurtres.

Une enquête complexe et qui pose de nombreux problèmes à Kolvair et Salacan. D’autant que Kolvair est handicapé et est affublé d’une prothèse suite à un feu nourri de la part des Allemands durant la première guerre mondiale, occasionnant l’amputation d’une jambe. D’ailleurs il profite d’un creux de sa jambe artificielle pour y cacher quelques grammes de cocaïne, poudre qu’il mélange à son tabac lorsqu’il se roule une cigarette. Legone n’est pas mieux loti, complètement défiguré durant le conflit dont la France se relève péniblement et possédant un passé qu’il cache soigneusement. Dans un contexte historique tous ces personnages évoluent dans un milieu huppé, celui des soyeux. La guerre a laissé des traces morales et physiques, et outre ce nouveau service de police scientifique, d’autres institutions sont en pleine mutation. Les Prud’hommes, les revendications des ouvriers, les méthodes de travail, leur durée légale. Seuls la morale bourgeoise, les cachotteries familiales perdurent, au détriment des rejetons. A noter qu’il était de bon ton que les personnages importants de la cité fréquentassent le lupanar « Chez Lili », afin de déjouer les suppositions malveillantes concernant leur possible homosexualité. Odile Bouhier délivre ses révélations, dévoile ses indices, impose ses personnages par petits touches, et la complexité psychologique des personnages, qui semblent arriver comme un cheveu dans la soupe, est dévoilée peu à peu. Et lorsque le lecteur est en présence de tous les éléments, il lui semble que l’intrigue était cousue de fil blanc. Toutefois tout n’est pas écrit sur l’avenir de certains des protagonistes, et il me parait évident qu’Odile Bouhier doit se remettre à l’ouvrage, tisser une nouvelle intrigue, afin de mieux développer les caractères, et donner une suite aux aventures de Kolvair, Salacan, Bianca et surtout Legone qui ne peut être abandonné comme ça. Enfin, on ne m’ôtera pas de l’idée que les procureurs en général sont des personnages profondément antipathiques, et celui incarné par Rocher le démontre. Et comme tout n’est pas fictif dans ce roman, un hommage est rendu au juge Puzin, personnage du roman et grand-père maternel de l’auteure. Un autre hommage est rendu aux frères Lumières et leur invention du cinéma qui à l’époque, grâce ou à cause d’opportunistes, n’était déjà pas forcément destiné à tout public. Toute petite fausse note, en 1920 la société Velux n’existait pas encore et donc on peut pas nommer une fenêtre de toit par cette appellation (page 89). Il eut mieux valu donc écrire tabatière.

Paul Maugendre

 

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