Parfois il vaudrait mieux regarder devant soi lorsque l’on marche dans la rue, et éventuellement retourner sur ses pas, plutôt que de se cogner dans quelqu’un même s’il fut un bon ami perdu de vue. Arno Fugiers, qui tous les matins effectue le même parcours, de chez lui au café pour en prendre un justement, est un ancien militaire adepte de la philosophie des trois C : cigarette, caféine, cocaïne. Sans oublier l’alcool et les putes. C’est justement, alors qu’il a les yeux fixés sur ses mains en train de rouler une cigarette, qu’il cogne violemment contre un passant. Lequel n’est autre que Gilles Comas, ancien de la Guerre du Golfe, celle de 93, à laquelle il a participé en compagnie d’Arno. Ils avaient sympathisé, s’étaient appréciés sur le terrain, mais leurs routes avaient bifurqué. Aujourd’hui Arno traine son traumatisme post-guerrier tandis que Gilles est devenu commissaire de police. Ils se donnent rendez-vous pour le lendemain, histoire de déjeuner ensemble. Arno va non seulement déjeuner mais également déguster. Alors qu’il attend son ami, Arno voit deux agents encadrant un prévenu en phase de transfert se diriger vers la sortie. L’intrusion d’hommes armés et cagoulés arrosant le commissariat ne lui fait pas perdre ses réflexes de militaire aguerri. Il empoigne l’homme habillé d’un gilet pare-balles et s’en sert comme d’une protection. Le vêtement est inefficace contre des munitions de guerre trafiquées, et Arno ne peut que recueillir les derniers mots de l’individu. « Hasard… 28… 1515… Op… Goliath… Tout arrêter… ». Giacometti, le prévenu, était considéré comme un criminel notoire, recherché par Interpol et suspecté d’être un parrain de la Mafia. Et s’il ne s’était pas servi de Giacometti comme d’un bouclier, Arno y serait passé tout de même, car apparemment les tueurs ne désiraient pas laisser de témoins derrière eux. Le commissaire Viel, rattaché directement au ministère de l’Intérieur, veut savoir quels furent les derniers mots prononcés par le truand mais Arno refuse de dire quoi que ce soit. Les ennuis commencent pour Arno. D’abord un coup de téléphone, mais personne au bout du fil. Comme si l’on voulait savoir s’il était présent à son domicile. Grâce à son habitude de regarder par la fenêtre de son appartement, il aperçoit trois hommes s’infiltrer dans son immeuble. Il a juste le temps de se cacher dans le studio voisin inoccupé et il entend des coups de feu et le départ précipité des tueurs qui ne poussent pas plus avant leurs investigations. Grâce à un pot de peinture rouge qui trainait dans un placard dans lequel il était sensé se dissimuler et dont les trainées qui se glissent sous la porte ressemblent à des rigoles de sang, il est sauf. Son ordinateur portable, dont la webcam est branchée en permanence, a filmé les trois personnages. Vincent, l’adjoint de Comas, reconnait quelques-uns des indélicats et bientôt c’est Arno qui se lance à la chasse à l’homme. Il possède un UZI, non déclaré, et en compagnie de Viel avec qui il parvient à sympathiser, et Samuel son avocat, sans oublier l’apport non négligeable des renseignements fournis par Vincent, il se retrouve bientôt sur la piste d’une organisation nommée la Suprématie de la race blanche, d’obédience nazie et dont l’origine et les fondements se situent aux Etats-Unis. Giacometti, membre de la Mafia, aurait-il eu des accointances avec cette organisation ? Et comment se fait-il que la DCRI et la DGSE se trouvent en possession d’informations qu’elles ne devraient pas connaître ? Des fuites préjudiciables pour la vie d’Arno et de ses compagnons seraient-elles organisées sciemment ?
L’intérêt de cet ouvrage réside dans la dissociation entre roman et document. En effet si Denis Alamercery développe son histoire en intégrant le thème des réseaux néo-nazis et leur imprégnation dans tous les rouages de la société, sans forcer le côté didactique, le cahier documentaire réalisé par Christine Revert-Charles apporte l’éclairage nécessaire pour mieux comprendre le développement de cette résurgence de moins en moins sporadique et de plus en plus prégnante qui prend sa genèse dans l’action du Ku Klux Klan à la fin de la guerre de Sécession, puis intègre l’idéologie nazie de la 2ème guerre mondiale. Ce côté documentaire placé en fin de volume évite ainsi à l’auteur d’alourdir son texte par des développements historiques et pédagogiques à l’intérieur de l’intrigue qui n’est donc pas découpée inutilement. Le personnage d’Arno Fugiers est sympathique justement à cause de ses défauts, et ses rapports avec ses comparses, de longue date ou nouveaux, sont intéressants à suivre. Particulièrement cette amitié avec la tenancière d’une maison close qui malgré tout fait payer au prix fort son client, car les affaires sont les affaires. Arno, et l’auteur par conséquent, se montre souvent ironique, caustique et l’humour dont il fait preuve est réjouissant, utilisant des métaphores savoureuses. Par exemple : « Je m’assis par terre, respirant comme un asthmatique en train de faire des pompes dans un champ de foin au mois de mai ». Ou encore « Je fouillai en vain les poches du mercenaire. Elles étaient aussi vides qu’une cervelle de footballeur ». Evidemment, cela ne devrait pas faire plaisir à tout le monde. Mais il ne faut pas oublier non plus cette petite guerre entre ministères, celui de l’Intérieur et celui de la Défense en l’occurrence, qui risquent de faire capoter des enquêtes. Mais ceci n’est qu’un roman de politique-fiction, et dans la réalité, il en va tout autrement. Non ?
Paul Maugendre