« L’Amérique, l’Amérique, je la veux et je l’aurai ! » chantait Joe Dassin au début des années 70. Une adaptation du tube de Christie qui s’intitulait Yellow River, et qui d’ailleurs ne figure pas dans la longue liste de titres recensés en fin d’ouvrage et qui ponctuent cette histoire. Et Cécile Coulon veut son Amérique à elle, qu’elle a construite de bric et de broc, dans un puzzle qui ressemble à celui des Etats-Unis. Un style déstructuré qui met en scène, dans la première partie, des personnages, des enfants, des adolescents, souvent sans nom, vivant dans une petite ville anonyme de l’Amérique profonde dans le Sud du pays. Cécile Coulon s’invente un pays à elle, s’appuyant sur toutes les images qui sont colportées, transformées, magnifiées, rénovées parfois pour les besoins d’une image idyllique ou au contraire diabolique, les métamorphosant et les intégrant dans son propre univers, dans un mélange d’imaginaire et de réalité. Ce pays, elle le rend crédible, car cette Amérique là est tellement complexe qu’on y croit. Les Américains connaissent-ils vraiment toutes les subtilités, toute la panoplie sociale et géographique de leur pays, où mégapoles et bourgades fleurissent sur la carte comme autant de champignons quelque fois vénéneux. Où les communautés se côtoient sans se connaître, où les disparités sont énormes comme la distance qui sépare New-York de San Francisco. San Francisco, justement, situé à 1500 kilomètres de chez elle, destination pour laquelle une jeune fille s’embarque un jour à bord d’un autocar. Petite fille intrépide elle s’amusait à voler les pommes de son voisin, s’agrippant aux branches de l’arbre, et un jour retomba sur une planche parsemée de clous disposée traitreusement par l’irascible propriétaire des fruits. Résultat un pied traversé de part en part et le dégoût des pommes. Elle embrasse un garçon pour la première fois et n’y trouve que le goût d’un vieux Malabar coincé entre les molaires. Quatre ans à Frisco puis le retour à la maison rappelée par son père pour cause de décès. Il y a aussi le Suédois, dont la principalement occupation est de dormir, d’écouter un CD de Gene Vincent et occasionnellement d’écrire des lettres ou faire des rencontres à l’arrêt d’un car. Sans oublier Eddy qui vit avec une jeune fille qui parfois joue avec son œil de verre, au grand dam de sa voisine. Eddy aime bien Kristina, « parce qu’elle ne lui demandait jamais de lui dire je t’aime après le sacro-saint orgasme du vendredi soir ». Ou encore Freaks, jeune professeur appliquant un nouveau programme scolaire consistant en une heure de rédaction après les cours. Freak qui porte mal son nom, amputé d’un doigt, ce qui l’a obligé à refermer son piano, attisant sans rien dire le mystère du doigt coupé et dont les veines charrient la Dame Blanche. Freak dont le plaisir juvénile et rancunier est d’uriner sur les vélos de ses élèves. Quant à Lua, c’était une petite fille très sage jusqu’au jour où son père ramène du travail à la maison. Ce boulot était contenu dans une boîte pouvant entasser deux paires de chaussures mais qui n’est que le refuge d’une énorme araignée noire. Un arachnide qui va empoisonner son existence et s’infiltrer dans son esprit tissant sa toile insidieusement.
Des destins entremêlés, comme des maux croisés dans une distorsion du temps, constituent la trame de ce roman qui n’est pas un roman noir, encore moins un polar, mais en possède la substance, le suspense, la force, le sens de l’intrigue, l’atmosphère. Les personnages d’enfants modèles, ou modèles d’enfants, que l’attitude des adultes ne vont pas aider à jouir d’une vie sereine, sont décrits comme des handicapés de la vie, de la société, de l’affectif. Si je n’avais pas découvert en quatrième de couverture que Cécile Coulon est née en 1990, j’aurais penché pour une auteure mature, ayant déjà connu les affres et les souffrances de la vie, ayant vécu moult expériences, blessée peut-être mais rebondissant toujours en s’appuyant sur les écueils pour sortir la tête de l’eau. La religion ne peut servir de bouée de sauvetage, au contraire, ce serait plutôt le plot de ciment accroché aux pieds, alors pour ne pas se noyer autant s’en détourner, selon l’une des narratrices.
Cerise sur le gâteux, histoire de rafraichir la mémoire des nostalgiques, Cécile Coulon nous propose en fin de volume 39 titres, 39 morceaux musicaux interprétés par des artistes et des groupes de légende tels que Sam the Sham and the Pharaohs à Pink Floyd en passant par The Beach Boys, The Kinks, Gene Vincent, Alice Cooper, Leonard Cohen, The Troggs, The Ramones, Carl Perkins, David Bowie, Graham Nash ou les Everly Brothers.
Paul Maugendre