Alors qu’il pensait toucher la gloire du bout des doigts, et par conséquent un portefeuille bien garni et la reconnaissance de ses pairs, Daniel Bensila retombe bien vite du haut des nuées où il pensait planer. Son dernier livre devait être adapté au cinéma, par un producteur-réalisateur-scénariste. Seulement le script ne correspond plus du tout au texte original. Forcément il est furieux. Le producteur lui propose alors de s’atteler à la tâche, mais les conseils et la réécriture ne sont pas suivis d’effet. Bref lors d’une soirée parisienne à laquelle Daniel est convié il boit plus que de raison, frappe le producteur-réalisateur-scénariste peu consciencieux d’un violent coup à la figure puis « emprunte » sa voiture, une magnifique petite MG, et sillonne le quartier à folle allure. Evidemment, il ne maitrise plus sa conduite étant en état d’ébriété et percute une jeune fille. Un peu plus tard il reçoit la visite d’un policier qui semble travailler en solitaire et boit volontiers en sa compagnie des bières.
A Saint-Ouen, proche banlieue parisienne, le jeune Joe est fort marri. Ce n’est pas souvent que cela lui arrive, mais la veille il a succombé à un excès d’alcool, et ce matin, en se présentant devant le père Walter, il n’est pas fiérot. Cependant le père Walter n’a pas convoqué son enfant de chœur pour le réprimander mais pour lui confier une mission. Celle d’aller enquêter à Montmirail, petite ville de la Marne, afin de se renseigner sur le décès suspect d’un de ses protégés, qui était devenu curé de la commune champenoise. Il aurait été retrouvé mort après une rave partie, mais est-ce consécutif à un accident ? Du pain sur la planche pour le brave Joe qui enfile pour la première fois la soutane. Sur place il pourra obtenir aide et renseignements sur la localité et ses habitants auprès de Suzanne, une jeune femme qui a oublié de grandir et a travaillé dans un cirque. Elle niche dans l’ancienne gare désaffectée.
A Montmirail une famille travaille dans les objets pieux, enfin supposés tels. Le père, Cesare Affatigati, le fondateur, mène tout son petit monde à la baguette. Italo, Arturo et Tonio fabriquent, emballent et livrent de la bimbeloterie au Vatican, dans des couvents, des archevêchés, le tout pour la propagation de la foi au quotidien, leur slogan. Ainsi ils honorent une commande de dix rouleaux de papier hygiénique à l’effigie du Saint-Père, commande effectuée par le secrétaire du pape. Ils ont également des brosses à dent avec la reproduction d’une image pieuse, des savonnettes en forme de crucifix, et autres babioles que s’arrachent les autorités religieuses. Maria, la fille, tient le standard en temps normal, mais elle est actuellement en résidence à Paris afin d’apprendre la culture d’entreprise.
Comment le destin de tous ces personnages va-t-il se commuer en un destin unique, c’est Hervé Mestron et son sens original et machiavélique de l’intrigue qui en décide, grâce à une construction tout en finesse et en habileté. Il amalgame, il mélange, il pétrit, il fusionne et le résultat est digeste et réjouissant. Mais dans cet enrobage de fiction, le lecteur retiendra également les émois, les désirs, les espoirs, les frustrations d’un auteur de roman face à certains requins de la sphère cinématographique et ce que décrit Hervé Mestron, en désabusement, colère, actes et paroles, ne peut qu’être le reflet d’une expérience malheureuse. Si ne n’est pas lui qui en a été victime, au moins un proche qui a été confronté à ce genre de mésaventure. Quant aux autres protagonistes, ils forment une curieuse ménagerie de phénomènes de foire, mais ils sont dépeints avec sympathie et tendresse. Même s’ils cachent des cadavres dans le placard, ou plutôt dans la cave.
Paul Maugendre