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Chronique Polars Jazz-Dernier tour de manège

Jean-Paul NOZIERE : Dernier tour de manège aux éditions Rivages Noir n° 818.

Jean-Paul NOZIERE : Dernier tour de manège.

Rivages Noir n° 818.

 

Dans les Trois Vallées, entre Bourgogne et Franche Comte, la crise est passée comme partout ailleurs. Les entreprises ferment les portes et les ouvriers sont au chômage. Dans ces conditions, il est bien difficile pour ceux qui ont acheté à crédit d’honorer leur engagement. Mais les créanciers eux veulent récupérer leur dû. Et pour ce faire, ils embauchent Louise et Sakun Sen, alias le Viet. Louise Brocoin est belle à croquer et ronde comme une pomme, aux magnifiques cheveux noirs, une trentenaire épanouie. Certains la trouvent un peu grosse, pour d’autres elle est potelée avec des rondeurs adorables et elle aurait pu servir de modèle à des peintres flamands. Louise est une femme secrète, qui vit dans une caravane, ayant eu d’une liaison une fille, Loubna, qui enlevée par son père vit aujourd’hui en Algérie. Pas question de la voir, tout juste lui envoyer des cadeaux et de l’argent. Sakun, cheveux longs et diamant à l’oreille, rapide à monter en tension et à tout bousculer sur son passage, Sakun a pas mal bourlingué, et depuis quelque temps il s’est adonné au bouddhisme, pratiquant cette religion lorsque ça l’arrange. Il vit dans un ancien palace désaffecté, l’Hôtel des Bains de Mer, dénomination anachronique pour la région. Et même s’il couche avec Louise, interdiction formelle de copuler dans la caravane de la jeune femme qui est stationnée dans le parc de l’hôtel. Parfois, lorsqu’elle a besoin d’argent, juste pour le bon motif, elle accepte un client.

 

Louise et Sakun font une sacrée paire et sont souvent demandés, leurs résultats parlant pour eux. Par exemple Lemonier, un maquignon qui a vendu une jument appaloosa à une jeune femme, souhaite, ou plutôt exige, que le reliquat lui soit versé. Alors notre duo de récupérateurs d’argent se rend chez Angeline Poirin, et ce qu’ils découvrent se résume en une véritable boucherie hippophagique. Ils aperçoivent d’abord la jument dans le pré. La pauvre bête est éviscérée et l’une des pattes arrière, un quartier entier, a été découpée. Ce n’est pas parce que des gens meurent de faim qu’il leur faut se réduire à cette extrémité. Angéline est chez elle, bâillonnée et ligotée. La première pensée de la jeune femme va pour son gosse, mais celui-ci dort paisiblement. Alors elle narre sa mésaventure. La veille au soir un homme s’est introduit chez elle et s’est contenté de lui dire : Tu vas créer la vie. Puis il s’est emporté lorsqu’il s’est rendu compte que la admirable chevelure d’Angéline n’était qu’une perruque. Malgré leurs réticences à côtoyer les forces de leur l’ordre, Louise et Sakun ne peuvent que se rendre à la gendarmerie locale de Bocagna.

 

D’autres affaires similaires se sont déjà produites dans la région, mais, malgré les déclarations de certaines personnes qui pestent parce que l’état ne fait rien en faveur des animaux, les gendarmes doivent en priorité protéger leurs concitoyens. L’adjudant Gannori est l’anachronisme de la brigade. Il est adjudant et il entend bien le rester, malgré toutes les propositions d’être élevé à un grade supérieur. Il refuse toute mutation, désirant contre vent et marée rester dans sa région. Il rédige un roman policier, ce qui lui prend beaucoup de temps car il remet le travail sur sa machine à longueur de jours et de nuits. Il est chargé de cette enquête délicate et il ne sera pas au bout de ses surprises, tout comme notre duo d’enquêteurs improvisés. Ce qui le mine surtout, c’est le départ du foyer de sa femme qui a emmené avec elle leur fille Moïra.

 

D’autres personnages gravitent dans ce décor rural, champêtre, mortifère. Richard Dolaire, ancien notaire, la cinquantaine, a épousé Lina, une jeune femme de vingt ans sa cadette. Elle pratique l’équitation mais refuse de coucher avec son mari, ne lui promettant une nuit de noce que lorsqu’il la rendra éternelle. Alors dans la journée, il parcourt son domaine, ses bois, abat avec ses fusils de chasse ragondins et cervidés. Jeff Tacket est un médium, un gourou, qui prédit l’avenir à tous ceux qui mettent la main au portefeuille. Il ne se débrouille pas trop mal pour faire parler les tables, même si la sienne est un peu trop lourde pour ses poignets de sexagénaire. Parfois il se surprend, et se demande si, inconsciemment, il ne posséderait par une infime parcelle de don.

 

D’autres protagonistes se promènent dans ce roman, au fur et à mesure que l’intrigue se développe. Le lecteur se doutera très vite de l’identité du coupable, mais ce qui compte ce sont surtout ses motivations et comment il sera découvert par Louise, qui manquera d’y laisser sa peau, et Sakun, toujours vindicatif et incontrôlable. Et mon petit doigt me dit que nous devrions retrouver Louise et Sakun dans de nouvelles aventures. Enfin, j’espère ne pas me tromper.

 

Un roman qui marque une nouvelle voie pour Jean-Paul Nozière, même s’il prend pour décor récurrent sa Bourgogne. Un roman dur, violent, comme parfois la campagne peut en recéler, en se montrant hostile, mystérieuse, loin de la bonhommie affichée. Et nous pouvons mettre en parallèle son univers à celui de Jim Thompson, ainsi qu’au magnifique célèbre roman d’Emile Zola La Terre. Tous les personnages qui gravitent dans cet ouvrage possèdent leurs fêlures, une vie en capilotade, ressassant en boucle des drames familiaux dont les enfants sont des victimes probables. Et pour quelques-uns d’entre eux, ce ne sont plus des fêlures dont ils sont atteints, mais de fractures mentales et leurs neurones sont en zone de déliquescence, proches de la déchèterie.

 

Paul Maugendre

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