Alain Simar est l'un des fondateurs historiques du festival International de jazz de Montréal. Alors que l'événement a pris fin il y a quelques jours, il a aussi sorti un livre "Je rêvais d'un festival". Benoit Thuret l'a rencontré, sur place, à Montréal, dans la galerie de l'exposition consacrée au festival. Evidemment, ils ont parlé musique et surtout du festival International de jazz de Montréal. Attention, pan d'histoire !
Comment vous est venu l'amour du jazz ?
A la maison, on écoutait Dave Brubeck ou encore Miles Davis. C'est comme ça que j'ai découvert le jazz. Etudiant, je suis allé assister gratuitement à des émissions de jazz à Radio Canada. J'ai vécu l'époque hippie et je croyais que la musique pouvait changer le monde et je rêvais de faire un festival à Montréal. Très jeune, au collège, j'organisais des concerts. De fil en aiguille, mon rêve de festival pop s'est transformé en festival de jazz. Avec des amis, on a fait venir Genesis ou encore Pink Floyd. Le jazz n'est venu qu'après mais c'était la suite logique. J'étais aussi agent de plusieurs artistes, j'ai été producteur et j'organisais des tournées de blues avec Muddy Waters ou John Lee Hooker. J'ai aussi été le producteur de BB King au Québec. Il est venu 25 fois à Montréal. A l'époque, il avait encore cet esprit qu'il avait quand il jouait dans les clubs : il m'appelait boss et il me demandait si je voulais qu'il fasse un autre set. Parce qu'à cette époque, dans les clubs, il faisait 2 ou 3 sets par nuit. Avant le festival, on a aussi créé une manifestation qui s'appelait les géants du blues en 1980... En 1980, on a réussi à monter la première édition du festival après deux tentatives infructueuses en 78 et 79. J'avais d'ailleurs déposé le nom en 1978. Pour cette première, il y avait Ray Charles, Chick Corea. Il y avait beaucoup de spectacles gratuits déjà dans de nombreux lieux dans la ville, j'avais même booké une fanfare de la Nouvelle-Orléans. Et dès la 3e année, on a déménagé et on a eu notre propre scène dans la rue. C'est là que la formule du festival a réellement démarré.
Il y a effectivement beaucoup de monde dans les rues mais aussi beaucoup de sérénité...
Mon idéal hippie, c'était que des gens de tous horizons, de tous les âges, de toutes les générations, toutes les couleurs, se retrouveraient et pourraient danser, parler avec de gens qu'ils ne connaissent pas. C'est ce qui s'est produit. On a mis les ingrédients nécessaires pour que ça arrive, pour que les gens se sentent libres, qu'il n'y ait pas de surveillance policière, il n'y avait aucune sollicitation de permise sur le site, tout est gratuit. Au niveau de la programmation, on avait du jazz, des musiques voisines où il y avait une recherche de créativité qui n'est peut-être pas donnée à tout le monde et les gens que ça attire sont peut-être des gens apaisés, humanistes et curieux de découvrir. Le festival est devenu populaire grâce aux concerts gratuits et à la qualité de la programmation.
On est aussi venu vous chercher pour reproduire ce modèle ?
New York ou Boston m'ont demandé de créer ce type de festival ailleurs mais ça n'a pas marché. A Boston, le chef de la police ne voulait pas voir une foule un verre à la main dans la rue. Et puis dans ces villes, les différentes communautés sont des sortes de ghetto culturel. A Montréal, il y a plus de mixité et d'inclusion. Il faut dire que la ville est à la fois francophone et anglophone. Après la Seconde Guerre Mondiale, elle a accueilli des communautés très importantes venues d'Europe, d'Italie, du Portugal... C'est donc une ville multiculturelle, tout était en place pour le festival fonctionne. Quand on a créé le festival, le jazz était plus instrumental qu'aujourd'hui donc il n'avait pas la barrière des paroles. J'étais persuadé que Montréal pouvait être la porte d'entrée de ces musiciens du monde entier.
Le festival a une histoire forte avec beaucoup d'artistes dont Pat Metheny...
Oui, c'est le premier artiste à avoir fait un concert gratuit devant plus de 100 000 personnes pour le 10e anniversaire du festival. Je le connaissais car je le faisais tourner dans tout le Canada alors qu'il n'avait que 19-20 ans. Il était très impressionné de jouer devant autant de monde. Pendant tout le concert, il regardait le sol ou au loin vers la montagne pour éviter de regarder la foule. Après le concert, il a appelé sa mère pour dire qu'il avait joué devant 100 000 personnes et elle ne le croyait pas. Stevie Wonder a réuni aussi beaucoup de monde quand il a inauguré la place des festivals pour laquelle je me suis battu pendant dix ans. C'était quelques jours après le décès de Michael Jackson dont il était le parrain et le mentor. Il a donné un concert grandiose et très très émouvant.
Le festival fait rayonner Montréal et on a aussi l'impression qu'il a fait changer la ville quand on regarde le nom des rues et des places ?
Je voulais que la musique change le monde mais elle a déjà changé le centre-ville de Montréal (rires). C'est un "accident". Personne ne pouvait rêver de ça, personne ne pouvait imaginer qu'un festival de jazz pouvait devenir aussi important. Attention, il a quand même fallu plusieurs années avant de faire notre place. A la naissance du festival, le maire de l'époque préférait l'opéra au jazz. Finalement, la preuve que nous allions dans le bon sens a été donnée par la foule qui a adopté la formule du festival. C'est ce qui nous a permis de grandir et de présenter autant de grands spectacles gratuits. Les sponsors sont venus parce qu'il y avait de la foule mais la foule est venue parce que grâce aux sponsors on a pu présenter encore plus de spectacles, il y a un effet d'entraînement.