A l'instar du cinéma, la musique est un métier que l'on fait rarement seul.
Et si, par leur talent et leur charisme, certaines personnalités ont réussi à se hisser jusqu'aux plus hauts sommets, d'autres, plus effacées, préféraient les aider dans leur ascencion. Alors aujourd'hui sur Jazz Radio, on rend hommage à ces personnalités de l'ombre qui, malgré leur discrétion, ont contribué à la grandeur des plus grandes étoiles du jazz.
Le producteur Alfred Lion
Son nom ne vous dit peut-être pour rien, et pourtant, Alfred Lion a joué un rôle crucial dans l'essor du jazz moderne. C'est bien simple : il est le co-fondateur de l'un des labels de jazz les plus prolifiques, Blue Note Records. Jugez plutôt : Miles Davis, Herbie Hancock, Dexter Gordon, Johnny Griffinn, Bud Powell ou encore Wayne Shorter ont, un moment ou un autre, collaboré avec celui qui se dévouera entièrement à sa passion pour la musique afro-américaine.
Sous sa direction, Blue Note est devenu un label d'exception, réputé pour son exigeance et ses hauts standards, avec une production de plus de 900 enregistrements. Tombé amoureux du jazz depuis sa tendre enfance, Alfred Lion s'est fait reconnaître par ses pairs, notamment pour son intégrité : il valorisait ses artistes, leur laissant une grande liberté d'expression, basant davantage ses réflexions sur le mérite artistique que sur l'appât du gain.
"Alfred Lion était l'un des exemples les plus remarquables d'intégrité dans le monde de la musique. [...] Tout ce qu'il a fait était dû à sa foi en la musique" - Leonard Feather, critique de jazz au Times entre 1960 et 1980
Disparu le 2 février 1987, Alfred Lion a façonné l'histoire du jazz, et sa popularité à l'international.
Le producteur et compositeur Teo Macero
Le nom de Teo Macera est associé à un génie du jazz, bien connu du grand pulic : Miles Davis. En travaillant pour le label Columbia Records, Teo Macero s'est surtout illustré en produisant certains des albums les plus innovants de Miles, comme "Kind of Blue", "In a Silent Way" ou encore "Bitches Brew". Mais sa grande spécialité, c'est qu'il adorait "bricoler" avec ses montages audios, en coupant, collant, et en réarrangeant ses enregistrements bruts pour créer une oeuvre unique.
Grâce à Teo Macero, la porte s'est entrouverte sur un nouveau genre, qui marie subtilement différents styles entre le jazz, le rock et la musique expérimentale, et qui ouvrira la voie à de nombreux artistes pour exprimer leur art : le jazz fusion.
La relation entre Macero et Davis était marquée par une collaboration créative, où Macero jouait souvent le rôle d'un architecte sonore, transformant les idées de Davis en quelque chose de concret. Même s'il restait dans l'ombre, Macero a été un pillier dans la création de certains albums les plus importants du jazz.
Le procteur Norman Granz
Si Norman Granz est connu pour son rôle de producteur et d'impresario, il l'est aussi pour avoir changé à jamais l'histoire du jazz, en s'impliquant corps et âme dans l'égalité raciale. Fondateur du label Verve Records, mais aussi créateur des concerts très populaires de Jazz at the Philharmonic, Norman tenait beaucoup à réunir sur scène autant d'artistes blancs et noirs, à une époque où la ségrégation raciale faisait rage à travers les Etats-Unis. Campé sur ses positions, Granz refusait de se produire dans des salles qui séparaient les spectateurs en fonction de leur couleur de peau. Il était aussi très exigeant sur les conditions d'accueil, que ce soit pour les artistes sur scène, comme pour le public.
Norman Granz a pu collaborer avec de nombreux artistes, notamment Ella Fitzgerald, Dizzy Gillespie, ou encore Charlie Parker. Et si le producteur a participé à la production de chefs-d'oeuvre iconiques dans l'histoire du jazz, son militantisme a joué un rôle fondamentale dans la lutte pour les droits civiques dans la musique.
Le photographe et producteur Esmond Edwards
Connu autant comme producteur que comme photographe, Esmond Edwards a marqué le jazz avec sa double casquette. Producteur pour le label Prestige Records, Esmond a eu l'occasion d'accompagner des "montres" de jazz, comme John Coltrane, Sony Rollins, ou encore Eric Dolphy. Sous sa supervision, il y a eu de nombreux enregistrements novateurs, qui ont façonné à jamais l'évolution du jazz avant-gardiste et du hard bop. Et c'est sans doute grâce à la confiance qu'il accordait à ses artistes, leur laissant une liberté de création rare, qu'il a pu travailler sur des morceaux emblématiques.
A côté de cela, Esmond Edwards avait un oeil avisé et un talent certain pour capturer des portraits sublimes, révélant les artistes sous leur meilleur jour. Sous sa supervision, des artistes comme Miles Davis, John Coltrane ou encore Charles Mingus ont pris la pause, avec des clichés souvent été utilisés comme pochettes d'album. Entre vision artistique et (grande) sensibilité musicale, Esmond Edwards était une figure influente dans le milieu, tant par son travail de producteur que dans son esthétique.
L'ingénieur du son Rudy Van Gelder
Un autre nom indissociable du Blue Note Records : celui du célèbre ingénieur du son Rudy Van Gelder. Si l'artiste a aussi collaboré avec Prestige et Impulse!, Rudy Van Gelder est à l'origine de nombreux albums emblématiques, comme ceux de John Coltrane, Miles Davis, Horace Silver ou encore Thelonious Monk. Localisé à Englewood Cliffs, son studio aux allures de chalet-cathédrale moderne, où sont passés de véritables icones du jazz, est devenu un véritable sanctuaire.
Célèbre pour son approche quand il enregistrait, Rudy Van Gelder utilisait des méthodes pointues pour donner vie à ses enregistrements, en produisant un son clair et puissant. Un son tellement reconnaissable qu'il avait même son propre nom : "le son Van Gelder". Son travail a défini le son du jazz des années 1950 et 1960 : grâce à lui, des albums comme "A Love Supreme" de Coltrane ou "Maiden Voyage" d'Herbie Hancock sont devenus des chefs-d'œuvre intemporels. Aujourd'hui encore, son influence sur le jazz est immense, et en 2009, il a été nommé Jazz Master, la plus haute distinction américaine dans le domaine.