Kamasi Washington et son harmonie des différences.
Même sur ce court album, le compositeur et saxophoniste Kamasi Washington démontre une ambition infatigable à travers son écriture, sa performance et son approche spirituelle.
Quand les chemins de la réussite classiques du jazz contemporain impliquent souvent de longues sessions de pratique pour les musiciens et requièrent d’étoffer un réseau désormais indispensable, Kamasi Washington et ses compatriotes parviennent à développer leur propre scène tout en évoluant dans une relative isolation, au coeur de South Central Los Angeles.
Washington a d’abord suscité un intérêt international pour avoir joué et composé certains arrangements présents sur le troisième album du rappeur slash superstar Kendrick Lamar, To Pimp a Butterfly. On pouvait d’ailleurs y entendre des contributions de certains membres du collectif élargi de Kamasi, West Coast Get Down)
Mais c’est l’album qu’il sortira cette même année, son premier, qui le propulsera réellement sous le feu des projecteurs.
The Epic paraît au début du mois de mai 2015, et fait son apparition sur un label inattendu. Brainfeeder, le label indépendant créé par le rappeur expérimental Flying Lotus, nous avait plus habitués à des sorties électroniques voir club. S’en suit une tournée relativement singulière pour un jazz band, foulant l’herbe abîmée de certains festivals, plus habitués à accueillir des groupe de rock indie et DJ big room. Bien que sa musique soit concrètement du jazz dans la plus pure tradition des big band nord-américains, le contexte ainsi que ses diverses collaborations se trouvent aux frontières d’autres genres. Continuant à casser les codes, c’est en 2017 qu’il sort Harmony Of Difference sur le label londonien Young Turks, maison focalisée elle aussi sur d’autres genres musicaux, comme la musique électronique ou même le R&B.
Harmony of Difference faisait originellement partie d’un travail pluri-médias, une oeuvre illustrant de quelle façon les forces qui semblent travailler en opposition entre-elles parviennent à fonctionner ensemble pour créer un artefact d’une beauté complexe. Le projet était composé de différentes peintures projetées (toiles imaginées par la soeur du compositeur, Amani Washington), superposées jusqu’à donner une forme abstraite rappelant la forme d’un visage. Kamasi explora cette thématique en écrivant cinq courtes pièces, s’emboitant naturellement les unes dans les autres.
Un des morceaux les plus longs, Truth, était sorti un peu plus tôt en 2015, et tenait le rôle de bande originale pour un court métrage réalisé par A.G. Rojas. La structure du film est basée sur la répétition, de nombreux motifs et patterns se répètent, se perdent, réapparaissent.
Kamasi Washington nous propose en somme un album abouti et consistant, qui mérite que tout auditeur curieux y prête une oreille attentive.
Surtout, il peut amener l'auditeur plus classique de jazz à s'aventurer dans des contrées nouvelles, le chemin étant parfois sinueux, la finalité reste toujours la même : proposer une musique de qualité où l'ont peut déceler l'âme de son compositeur entre deux notes de saxophone. Il constitue aussi un parfait préambule à son prochain album, prévu le 22 juin, et dont vous nous parlions ici.